mercredi 24 avril 2024
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    Licenciement sans motif à Monaco : l’indéboulonnable article 6 ?

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    Gouvernement, patronat et Conseil national n’ont jamais voulu réformer le licenciement sans motif à Monaco alors que les syndicats monégasques bataillent depuis des décennies pour que cet article 6 soit banni du droit du travail monégasque. Pourquoi semble-t-il indéboulonnable ?

    Qui osera un jour faire sauter le verrou ? Du côté du patronat, du gouvernement ou du Conseil national, les audacieux qui oseraient s’attaquer à ce symbole de la flexibilité monégasque sont rares, pour ne pas dire, inexistants. Bannir le licenciement sans motif (1) à Monaco — ou le réformer pour que son impact sur les salariés touchés soit moins brutal — est en revanche un combat que les deux principales organisations syndicales du pays mènent sans relâche. « Cela fait 30 ans que l’Union des syndicats de Monaco demande le retrait du licenciement sans motif. La Principauté est le seul pays en Europe où l’on peut licencier les salariés de cette manière », regrette Olivier Cardot, secrétaire général de l’USM. Pour cette organisation, il est « dramatique de ne pas dire à un salarié pourquoi on le licencie. Cela laisse la place aux doutes, à la peur et à la remise en question personnelle. »

    « Un mode de licenciement d’un autre âge »

    La F2SM affiche cette même revendication depuis sa création en 2012. Selon cette fédération syndicale, le licenciement sans motif engendre « une pression considérable et inutile » sur les salariés. Ses représentants demandent donc à ce qu’une « réflexion en profondeur » soit enfin engagée à Monaco sur ce sujet. « Nous sommes prêts à entendre tous les arguments des fédérations patronales, mais reconnaissons qu’il est compliqué de souhaiter atteindre les 100 000 salariés en Principauté en 10 ans avec une telle insécurité d’emploi, estime le président de la F2SM, Cédrick Lanari. Nous saluons la démarche du Conseil national d’ouvrir le débat sur la rupture conventionnelle du contrat de travail mais cette démarche doit permettre d’avancer sur ce mode de licenciement d’un autre âge. »

    « J’ai un grand principe : je n’altère pas ce qui fonctionne »

    Autre son de cloche en revanche du côté du ministère d’État. Le gouvernement assume clairement ne pas vouloir faire disparaître ce symbole de la flexibilité monégasque. Pourquoi ? Pour ne pas bouleverser un fonctionnement ancré depuis déjà des décennies à Monaco. « J’ai un grand principe : je n’altère pas ce qui fonctionne », argumentait dès son arrivée au poste en 2017, Didier Gamerdinger. Quelques années plus tard, le conseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé n’a pas changé de point de vue sur cette question. « Aujourd’hui, les relations de travail sont encadrées par des textes. C’est ce droit monégasque qui accompagne la prospérité économique de Monaco. Je suis donc attentif à ne pas bouleverser ces équilibres subtils dans les relations de travail. Je ne veux pas remettre en cause ce qui a été institué au fil des années, indique-t-il. D’autant que cette prospérité bénéfice à tout le monde. Y compris aux salariés sur un certain nombre d’aspects. Mon rôle est d’accompagner cette prospérité ».

    Tribunal du travail : un garde-fou suffisant ?

    Ce membre du gouvernement estime également que le tribunal du travail — qui est l’instance chargée de régler les conflits individuels entre employeurs et salariés par rapport au contrat de travail — est un garde-fou efficace et suffisant pour éviter les abus, et les sanctionner si nécessaire.  « L’article 6 est souvent qualifié de licenciement sans motif. Il est vrai que l’employeur n’a pas l’obligation de donner de justification. Pour autant, il y a une jurisprudence extrêmement fournie sur ce sujet qui encadre le recours à l’article 6, indique-t-il. Quand les juridictions estiment que le licenciement a été mis en œuvre de manière brutale, sans prévenance à l’égard du salarié, sans un minimum de formalisme et donc de respect du salarié, il est fréquent que le recours à l’article 6 soit sanctionné par les tribunaux de la Principauté. » Toujours selon ce membre du gouvernement, les juridictions sont donc « extrêmement sensibles » à la façon dont la séparation entre l’employeur et les salariés se met en place. « Il faut que le salarié soit rempli de ses droits. Et il faut qu’il soit traité dignement, souligne-t-il. Quand on dit que l’article 6 peut permettre à un employeur de convoquer un salarié sans lui signifier pourquoi, et lui dire ensuite “tu prends tes affaires et tu t’en vas”, cela peut arriver mais c’est systématiquement sanctionné. »

    « Quand les juridictions estiment que le licenciement a été mis en œuvre de manière brutale, sans prévenance à l’égard du salarié, et sans un minimum de formalisme, il est fréquent que le recours à l’article 6 soit sanctionné par les tribunaux de la Principauté »

    Didier Gamerdinger, onseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé

    Une procédure « assez facile et peu coûteuse » devant le tribunal du travail ?

    Encore faut-il que les salariés qui s’estiment non considérés et malmenés aient le courage de se lancer dans une procédure devant un tribunal. Sans parler des frais que ce type de démarche pourrait engendrer. Mais selon ce membre du gouvernement, la procédure est « assez facile » et peu coûteuse pour les salariés. Le recours à un avocat monégasque n’est pas obligatoire. Les employés peuvent se défendre eux-mêmes s’ils se sentent capables de le faire. Au tribunal du travail, les affaires sont traitées en deux temps avec, d’abord, un préliminaire de conciliation, et ensuite, une phase de jugement si la conciliation n’a pas abouti à un accord. « Cette formation de conciliation est composée paritairement de représentants des employeurs et de représentants des salariés. Très souvent, une conciliation se trouve, assure Didier Gamerdinger. Ce n’est que s’il y a impossibilité de conciliation que le tribunal du travail, en formation contentieuse, va être amené à trancher l’affaire. Il n’y a donc pas, ou très peu, de frais à générer pour le salarié. »

    « Il est cher aux entrepreneurs »

    Une réforme profonde de l’article 6 ne viendra sans doute pas non plus du Conseil national. Ce point n’a jamais été évoqué comme une priorité dans sa feuille de route. La seule exception a eu lieu il y a précisément un an, en mars 2020, au tout début de la crise sanitaire. Pendant un peu plus de 3 mois, de la mi-mars jusqu’au 18 juin — date de la fin de l’urgence sanitaire en Principauté — il était interdit de procéder à des licenciements à Monaco (2). Gouvernement et Conseil national avaient alors voté un texte de loi temporaire pour interdire les licenciements alors que le pays et l’économie étaient totalement à l’arrêt en raison d’un confinement strict. En dehors de cette circonstance exceptionnelle, aucune volonté de changement n’a été portée de part et d’autre du ministère d’État.  « Cet article 6 est spécifique à notre système. Cela fait partie de notre économie et des facilités qui sont offertes aux entreprises de pouvoir moduler leur masse salariale. Il est cher aux entrepreneurs, expliquait il y a quelques mois l’élue de la minorité Horizon Monaco, Béatrice Fresko-Rolfo. C’est aux entrepreneurs d’avoir un sens des responsabilités, et surtout, un sens social. À eux d’agir de la manière la plus limpide possible. »

    Les (très) rares secteurs épargnés par l’article 6 à Monaco 

    Si l’article 6 peut s’appliquer dans la plupart des secteurs d’activités à Monaco, quelques rares exceptions sont toutefois à noter. C’est notamment le cas dans les banques, ou bien – parfois – dans l’hôtellerie.  « Grâce à la convention collective des banques de Monaco, le recours à l’article 6 dans le secteur bancaire monégasque est totalement interdit, et le salarié qui en serait malgré tout victime sera sûr et certain de gagner au tribunal du travail avec des indemnités conséquentes compensant le préjudice moral », explique notamment  Pierre-Franck Crespi, secrétaire général du syndicat des employés gradés et cadres de banque de Monaco (SEGCBM) affilé à l’Union des syndicats de Monaco (USM). « Dans le secteur de l’hôtellerie, il y a des accords d’établissements. C’est le cas notamment au Fairmont et au Columbus où l’usage du licenciement sans motif est interdit », rajoute Olivier Cardot secrétaire général de l’USM.

    1) Loi n. 729 du 16/03/1963 concernant le contrat de travail. Article 6 : le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l’une des parties. Il prend fin au terme du préavis.

    2) Ce texte de loi temporaire autorisait toutefois le licenciement à Monaco durant la crise sanitaire dans cinq cas : faute grave, licenciement économique initié avant la crise du Covid-19, décès de l’employeur, disparition de la cause du contrat de travail, et impossibilité de reclassement de salariés inaptes.

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